MRS
DALLOWAY, UN ROMAN EMBLEMATIQUE DU MODERNISME
LA RUPTURE AVEC LE REALISME
Le
modernisme va de pair avec une nouvelle conception de la réalité et de la
fonction de l'art. Il est fondé sur un refus de la mimesis, conception
selon laquelle la fonction de l'art est d'imiter le réel, ce qui donne lieu à
un rejet du réalisme.
=> Le roman moderniste opère une rupture avec le roman
réaliste du XIXème siècle, tel qu'il est représenté par Honoré de Balzac,
Charles Dickens... On retrouve ce refus de la mimesis dans les arts visuels, notamment
dans le mouvement vers l'abstraction, dans le domaine de la peinture
(Kandinsky, Robert et Sonia Delaunay, Kupka, Malévitch...)
Le
bouleversement touche tous les aspects de la société, de l'empire
britannique à la condition des femmes, en passant par le cadre de vie, ce bouleversement est
accompagné d'une nouvelle manière de penser, qui touche tous les domaines de la connaissance.
En effet, avec la théorie
de la relativité d'Einstein d'une part, aux idées de Nietzsche d'autre
part, les certitudes de l'époque victorienne font place au relativisme
et au scepticisme, alors même que les découvertes freudiennes de
l'inconscient rendent illusoires l'idée d'un moi stable et fixe.
=> Contrairement
à l'univers des auteurs réalistes du XIXème siècle, la vision du monde des
modernistes est teintée de doute, d'ambiguïté, de paradoxes.
LE ROMAN MODERNISTE
Dans le domaine du roman, le modernisme est un véritable tournant. De nombreux critiques parlent de
« turn of the novel. » (Ray Bradbury). Les romanciers modernistes,
aux premiers rangs desquels James Joyce, Virginia Woolf, D.H. Lawrence, et, aux
Etats-Unis, William Faulkner, révolutionnent le genre et repoussent ses
limites.
Alors même que le roman reste, dans les années 1890-1930, un genre
aussi répandu qu'à l'époque victorienne, l'idée s'affirme que le roman tel
qu'il est pensé traditionnellement est dépassé, inadapté, car incapable de dire
l'expérience de la modernité.
Ainsi, le poète et essayiste T.S. Eliot situe
la fin du roman avec Henry James et Gustave Flaubert.
Dans son journal
intime, après avoir terminé l'écriture de To the Lighthouse (titre français : La promenade au phare), Virginia Woolf affirme être sûre de ne plus jamais écrire de roman. Les auteurs modernistes eux-mêmes
ont largement théorisé, essentiellement dans des essais, leur conception du
roman moderne. Les textes théoriques de Virginia Woolf sont à ce titre fondamentaux.
De manière générale, le
renouvellement du genre romanesque va de pair avec une volonté de rompre avec le roman
réaliste. Cette rupture est aussi bien formelle que thématique: le fond et la forme donc....
Cette rupture touche
tous les aspects du roman, de la structure au personnage, en passant par la
narrateur, sans oublier les thèmes privilégiés du roman.
Le roman victorien
britannique (//roman réaliste français – Balzac, Stendhal, Maupassant...) suit
un déroulement linéaire et chronologique. C'est un roman clos, orienté vers une
fin, qui est le dénouement de l'intrigue.
En réaction, l'écriture
moderniste traduit un changement de la conception et de la représentation du
temps. Elle peut être définie par un refus de la linéarité, au profit d'une
structure circulaire et cyclique.
L'élément structurant du roman moderniste est davantage le rythme que
l'histoire et les personnages. Virginia Woolf dit écrire The
Waves en suivant un rythme, plutôt qu'une intrigue : « [...]
writing The Waves to a rhythm not to a plot » (The
Diary of Virginia Woolf, vol.III, p.316).
L'exploration de la conscience des personnages prend notamment la forme de la
technique du flux de conscience. (voir plus bas)
LE
NARRATEUR ET LE PERSONNAGE
Le roman moderniste
démantèle le narrateur omniscient des romans réalistes pour introduire un
narrateur non fiable, sur lequel le lecteur ne peut pas compter.
Le récit de celui-ci n'est ni assuré, ni
cohérent, mais fait d'hésitations, de doutes, d'incohérences, de contradictions
et de mises en suspens.
=> On notera, à ce titre, l'importance des points de
suspensions, parenthèses et tirets, dans les romans modernistes, comme à
la première page de Mrs Dalloway de Virginia Woolf, où la narration
au style indirect libre est interrompue par : « was that it? »
.
Le caractère absolu
de la narration dans le roman victorien fait place à une multiplication de
points de vue.
=> L'une des questions fondamentales à se poser
face à un texte moderniste est : « qui parle ? »
La remise en
question du narrateur omniscient va de pair avec une redéfinition de la
notion de personnage. Celle-ci
est elle-même liée à la redéfinition et désintégration du moi qu'ont entraînées
la psychanalyse et, plus spécifiquement, les découvertes freudiennes de
l'inconscient. Dans les romans de Woolf, Lawrence, Ford Madox Ford, Joyce ou
Faulkner, le moi est instable, fluide, perméable et multiple.
TRADUIRE LA REALITE DE LA CONSCIENCE : Dans la lignée du
« psychological realism » d'Henry James, les romanciers
modernistes placent la conscience des personnages au cœur de la narration.
Contrairement au roman réaliste, qui s'attache à représenter la réalité
extérieure, et en particulier la réalité sociale, le roman moderniste met
l'accent sur l'intériorité de la conscience.
Dans le domaine
littéraire, il désigne une technique narrative qui retrace les pensées et
les sensations d'un personnage, afin de saisir le flux continu de la conscience.
Elle fonctionne par association d'idées, de sensations, de perceptions et de
souvenirs.
Ces associations donnent lieu à des sauts dans le temps et dans
l'espace, qui prennent la forme de dérèglements de la syntaxe et de la
ponctuation, rendant parfois ces passages difficiles à suivre.
En effet, de
par leur caractère expérimental, les textes modernistes supposent une forme de
lecture différente, plus active, plus stimulante, dans laquelle le lecteur joue
un rôle plus grand dans la production du sens.
Selon Roland Barthes, alors que la grande majorité des textes, y compris les
romans réalistes, offrent des repères au lecteur lui permettant d'être un
consommateur passif du texte, les romans modernistes brouillent les pistes et
déstabilisent le lecteur, de telle sorte qu'il se fait presque écrivain du
texte, en participant activement à la production du sens.
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