Pas de méthode ici, pas de plan à suivre : la critique est un exercice de liberté, qui autorise la bonne ou la mauvaise humeur, la mauvaise foi, les digressions et les apartés.
A titre d'exemple et non de modèle, voici quelques morceaux choisis du livre de Frédéric Beigbeder, Dernier inventaire avant liquidation.
Dans Dernier inventaire avant liquidation, Frédéric Beigbeder présente son Top 50 littéraire du XXème siècle, cinquante œuvres littéraires incontournables parmi lesquelles il distingue L’Etranger d’Albert Camus en première position, mais aussi Tintin et Astérix…
Vous trouverez ici des extraits de la Préface de Beigbeder, une préface qui décape la vision d’une littérature scolaire ou académique, ainsi que quelques critiques choisies au hasard : L’Etranger, le Voyage au bout de la nuit, l’Ecume des jours, Gatsby le magnifique, 1984, Asterix et Tintin…
On peut aimer Frédéric Beigbeder, on peut le détester, là n’est pas la question. L’intérêt ici est de découvrir l’exercice de la critique : une façon de s’approprier la lecture, un exercice à la fois très personnel et nécessairement argumenté. Ce qui ouvre toutes les portes...
Frédéric BEIGBEDER – Dernier inventaire avant liquidation - 2001
To the happy many.
« Et Marie, son amour, était désormais comme les pochettes
de disques et les photos jaunies, et ces styles vintage, et ces sourires
d'hier, et toute la beauté du monde; du monde de Vincent qui était mort, et qui
doucement s'abîmait, et c'était le propre de l'homme, de retenir la beauté
fuyante et les paradis perdus. Et l'Art, aujourd'hui, c'était comme le reste,
c'était bel et bien comme les ongles d'un mort. Qui poussent encore - et
au-delà de la mort. »
Patrick Eudeline, dernier paragraphe de Ce
siècle aura ta peau (Florent Massot, 1997).
OUVERTURE DE PARAPLUIE
A
quoi servent les calendriers, les anniversaires, les changements de millénaire
? A vieillir, c'est-à-dire faire des bilans, classer, trier, se souvenir. Les
siècles sont bien pratiques pour raconter l'Histoire Littéraire : il y a le
XVIIIe, dit « des Lumières », qui ne ressemble pas au XIXe dit « Romantique »,
puis « Naturaliste ». Et le XXe siècle, comment faudra-t-il le qualifier ? «
Moderne » ou « Postmoderne » ? « Monstrueux » ou « Théorique »? « Dadaïste », «
Surréaliste », « Oulipien » ou « Trash »? « Mortel » ou « Telmor » ?
Depuis
5 ans que je suis critique littéraire (à Elle, Voici, Lire, au Figaro
littéraire, au « Masque et la Plume » ou sur « Paris Première »), je tente,
avec mes maigres moyens - subjectivité d'autodidacte et enthousiasme naïf -, de
désacraliser la littérature. Pour moi, rien n'est plus criminel que de la
présenter sous un jour solennel (c'est-à-dire poussiéreux), car le livre est,
aujourd'hui plus que jamais, en danger de mort. Il me semble que l'on peut
utiliser l'an 2001 comme un prétexte" l'occasion de se repencher (sans
s'épancher) sur « les 50 livres du siècle ». Ce nombre, tout aussi arbitraire
que le calendrier, nous permettra tout de même de passer en revue les romans
importants (français ou étrangers), quelques essais, un conte pour enfants,
ainsi que deux bandes dessinées ayant marqué le siècle.
Ces
50 œuvres écrites ont été choisies par les 6 000 Français qui ont renvoyé un
bulletin distribué par la FNAC et Le Monde pendant l'été 1999 : il s'agit donc
d'un choix démocratique et néanmoins subjectif, puisque ces personnes se sont
prononcées à partir d'une liste de 200 titres présélectionnés par une équipe de
libraires et de critiques. J'ai délibérément choisi de commenter ce tri avec la
même injustice qui a procédé à son établissement.
Parler
de littérature à la télévision n'est pas chose aisée. On se retrouve souvent
avec quelques vieux messieurs pérorant autour d'une table (et qui n'ont même
pas le droit de fumer ou de boire de l'alcool à cause de la loi Evin). Ou alors
on devient un jeune chroniqueur arrogant comme moi : l'insolent de service, le
contestataire de salon. Comment changer cela ?
Un
critique est un lecteur comme les autres : lorsqu'il donne son avis, favorable
ou défavorable, il n'engage que lui-même, et encore, une de ses nombreuses
facettes contradictoires.
Tous
ces livres que nous avons étudiés à l'école (c'est-à-dire « de force », sans
non-chalance ni désir spontané), n'est-il pas temps de les approcher comme ce
qu'ils sont : de simples regards vivants sur les changements et catastrophes
qui ont façonné notre époque? N'oublions jamais que derrière chaque page de ces
monuments d'un siècle révolu se cache un être humain qui prend tous les
risques. Celui qui écrit un chef-d'œuvre ne sait pas qu'il écrit un
chef-d'œuvre. Il est aussi seul et inquiet que n'importe quel autre auteur; il
ignore qu'il figurera dans les manuels et qu'un jour on décortiquera chacune de
ses phrases - c'est souvent quelqu'un de jeune et solitaire, qui travaille, qui
souffre, qui nous émeut, nous fait rire, bref, nous parle. Il est temps de
réentendre la voix de ces hommes et femmes comme au premier jour de leur
publication, en la débarrassant, l'espace d'un instant, des appareils critiques
et autres notes en bas de page qui ont tant contribué à dégoûter leurs lecteurs
adolescents et à les envoyer dans les salles obscures ou aux concerts de rock.
Il est temps de lire ces livres célèbres comme si c'était la première fois (ce
fut parfois le cas ici), comme s'ils venaient de paraître, avec légèreté et
inconséquence. L'humour, s'il y en a dans ce petit recueil, ne serait alors pas
« la politesse du désespoir » mais l'excuse de l'inculture, une tentative pour
surmonter la timidité qu'imposent les grandes œuvres d'art. Les chefs-d'œuvre détestent
qu'on les respecte ; ils préfèrent vivre, c'est-à-dire être lus, triturés,
contestés, abîmés -au fond, je suis persuadé que les chefs-d'œuvre souffrent
d'un complexe de supériorité (il serait temps de faire mentir la boutade
d'Hemingway : « un chef-d'œuvre est un
livre dont tout le monde parle et que personne ne lit »).
La
littérature m'apparaît de plus en plus comme une maladie, un virus étrange qui
vous sépare des autres et vous pousse à accomplir des choses insensées (comme
de s'enfermer pendant des heures avec du papier au lieu de faire l'amour avec
des êtres à la peau douce). Il y a là un mystère que je ne percerai peut-être
jamais. Que cherchons-nous dans les livres ? Notre vie ne nous suffît donc pas
? On ne nous aime pas assez ? Nos parents, nos enfants, nos amis et ce Dieu
dont on nous parle ne sont pas assez présents dans notre existence? Que propose
la littérature que le reste ne propose pas? Je n'en sais rien. C'est pourtant
cette fièvre que j'espère inoculer à ceux qui auront ouvert cette préface par
mégarde, et commis l'erreur de la lire jusqu'au bout. Car je souhaite de tout
mon cœur qu'il y ait encore des écrivains au XXIe siècle.
Frédéric Beigbeder
N° 1 L'ÉTRANGER d'Albert Camus (1942)
Le
n° 1 de ce classement des 50 livres du siècle, choisis par le vote de 6 000
français n'est pas moi mais je m'en fous, même pas vexé, je serai dans le « Premier Inventaire » du
XXIe siècle, non? Non plus??
Il
faut souligner que notre grand vainqueur rassurera les paresseux : un roman
très court (123 pages en gros caractères) Pas besoin de se fatiguer : on peut
donc écrire un chef-d'œuvre sans noircir des milliers de pages comme Proust.
Chef-d'œuvre que nous 'pouvons lire en une demi heure montre en main. Autre
bonne nouvelle. le n° 1 de notre liste est un premier roman il s'agit donc d'un
premier roman premier.
Enfin,
mauvaise nouvelle pour les xénophobes : le roman préféré des Français
s'intitule L'Étranger.
Il
nous narre l'histoire de Meursault, un type décalé qui se fout de tout : sa
mère meurt - il s'en fiche; il tue un Arabe sur une Plage algérienne - ça lui
est égal; on le condamne à mort - il ne se défend même pas. La célèbre première
phrase du livre le montre bien : «Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
Le gars ne sait même pas quel jour sa mère est morte! On ne se rend pas
toujours compte d'une chose : tous les losers magnifiques, les meurtriers
paumés, les antihéros désabusés de la littérature contemporaine sont des
héritiers de Meursault. Ce sont des Sisyphe heureux, des révoltés pas dupes,
des nihilistes optimistes, des naïfs blasés : bref, des paradoxes ambulants qui
continuent de respirer malgré l'inutilité de tout.
C'est
que, pour Albert Camus (1913-1960), la vie est absurde. Pourquoi tout ça ? A
quoi bon ? Pourquoi cette chronique inutile ? N'avez-vous rien de mieux à faire
que de lire ce livre ? Tout est vanité en ce bas monde (Camus, c'est
l'Ecclésiaste chez les pieds noirs). Cette lucidité taciturne n'a pas empêché
Camus d'accepter le Prix Nobel de Littérature en 1957 (à 44 ans, ce qui faisait
de lui le plus jeune lauréat après Kipling). Pourquoi? Parce qu'il a résumé son
existentialisme en une devise simple : « La vie est d'autant mieux vécue
qu'elle n'a pas de sens. » Rien ne rime à rien - et alors? Et si c'était
justement cela, «le bonheur inévitable»? Contrairement au refus snob de Sartre,
7 ans plus tard, qui confère de l'importance à la récompense, Albert Camus
accepte le Nobel précisément parce qu'il s'en moque. On peut se foutre de
l'univers, et l'accepter tout de même,
voire l'aimer. Ou bien il faut se suicider tout de suite, puisque tel
est le seul «problème philosophique vraiment sérieux».
Même
la mort de Camus sera absurde. Bien que tuberculeux ce playboy, sosie
d'Humphrey Bogart fut assassiné à 47ans
par un platane en bordure de la Nationale 6, avec la complicité de
Michel Gallimard et d'une décapotable.
La
seule chose qui n'est pas absurde, c'est le style que Camus a inventé : des
phrases courtes («sujet verbe complément, point», écrivit Malraux dan sa note
de lecture à l'éditeur), une écriture sèche, neutre, au passé composé, qui a
fortement influencé tous les auteurs de la seconde moitié du siècle. Nouveau
Roman inclus. Ce qui n'interdit pas les images fortes - par exemple pour
décrire les larmes et la sueur sur le visage de Ferez.
« Elles
s'étalaient, se rejoignaient et formaient un vernis d'eau sur ce visage
détruit. »
Même
si on l'a un peu trop étudié à l'école, il faut relire L'Etranger, dont le
désespoir ensoleillé, reste, comme dit la publicité pour la Suze, « souvent
imité, jamais égalé ». L'humanisme gentil d'Albert Camus peut parfois lasser,
mais pas son écriture tranchante. Au
moment de conclure ce dernier inventaire avant liquidation, alors que la fin du
monde approche tranquillement et que l'homme organise sa propre disparition en
souriant, n'y a-t-il pas une légère ironie à voir Camus s'emparer de la
première place (donc la dernière du compte à rebours), lui qui nous a expliqué
que le secret du bonheur consistait à s'accommoder de toutes les catastrophes ?
N° 6 VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT de Louis-Ferdinand Céline
(1932)
Le
numéro 6 était le nom du héros de la série Le Prisonnier. Vous vous souvenez?
Celui qui hurlait : « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre! » Ce
dossard va donc très bien à Louis-Ferdinand Céline.
Le
Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline (1894-1961) est le roman le
plus révolutionnaire du siècle, et la preuve en est qu'il n'a pas eu le Prix
Goncourt en 1932. En l'apportant à Denoël, Céline lui avait pourtant prédit : «
C'est le Goncourt dans un fauteuil et du pain pour un siècle entier de
littérature. » II se trompait sur le début de sa phrase, et sur la fin aussi
car tout le monde sait que Céline n'était pas boulanger mais médecin.
Certains
livres sont inexplicables : ils paraissent sortis de nulle part et pourtant,
quand on les lit, on se demande comment le monde a fait pour vivre sans eux. Le
Voyage est de cette famille peu nombreuse : son évidence bouleverse la vie de
tous ses lecteurs. Sa langue brute transforme à jamais votre façon de parler,
d'écrire, de lire et de vivre. « La musique seule est un message direct au
système nerveux. Le reste blabla. » Personne n'en sort indemne. J'envie ceux
d'entre vous qui n'ont pas encore lu cette fresque furieuse de vermine et
charogne : ils vont se faire dépuceler mentalement. Vous savez ce que je veux
dire : au début ce n'est pas toujours agréable; par la suite on y prend goût.
Héros
en fuite, Ferdinand Bardamu, descendant d'Ulysse et ancêtre de la Béat
Génération, traverse la guerre de 14, le Congo, New York, Détroit, Paris,
Toulouse, devient médecin en banlieue parisienne, puis chef d'une clinique
psychiatrique. D'une certaine façon, on pourrait dire que le Voyage au bout de
la nuit est le premier roman de la mondialisation. Avec 50 ans d'avance, Céline
décrit le rétrécissement de la planète, son uniformisation. Partout son
antihéros ne rencontre que des hommes morts ou sur le point de crever, comme
Robinson à la fête des Batignolles. Partout une société qui ne sert qu'à tuer
ou à rendre fou. Céline rédige le roman picaresque le plus sombre de l'Histoire
: à côté, Don Quichotte est une promenade de santé. L'exploit de Céline c'est
qu'en écrivant à l'encre noire sur fond noir on arrive quand même à le lire. «
J'ai écrit pour les rendre illisibles », a-t-il dit plus tard. Les milliers de
copieurs qui l'ont suivi, souvent de grand talent (Sartre, Camus, Henry Miller,
Marcel Aymé, Antoine Blondin, Alphonse Boudard, San-Antonio, Charles
Bukowski...) n'ont jamais réussi ne serait-ce qu'à approcher la clarté de sa
noirceur, l'amoralité de son apocalypse, l'hystérie de son cauchemar, le dégoût
de son épopée.
Comment
le docteur Destouches, médecin de 38 ans officiant à Clichy, qui a pris pour
pseudonyme le prénom de sa grand-mère, a-t-il pu engendrer pareille «symphonie
littéraire émotive» avant d'écrire, 5 ans plus tard, Bagatelles pour un massacre (sinistre pamphlet dans lequel il
aurait mieux fait de rajouter des points de suspension) ? En cherchant bien, on
trouve malheureusement une cohérence : Bardamu, l'anarchiste, cherchait un
coupable et Céline, l'antisémite, trouvera un bouc émissaire. Il s'est bien sûr
ignoblement fourvoyé sur la cause de la misère humaine. Pourtant le constat du
Voyage au bout de la nuit reste d'actualité : nous essayons de survivre sur une
petite planète sans Dieu qui fabrique de la pauvreté, des guerres et des
usines. «Une immense, universelle
moquerie » (page 22). Et personne ne sait « le pourquoi qu'on est là » (page 255).
Roger
Nimier a dit une chose très jolie sur Céline : « Le Diable et le bon Dieu se disputent très fort à son sujet. » II
me semble que cette engueulade n'est pas près de s'achever. Et maintenant
éteignez la lumière, je veux errer dans la nuit... j'ai tout mon temps pour
traverser l'obscure désolation... « et la
ville entière, et le ciel et la campagne et nous, tout qu'il emmenait, la Seine
aussi, tout, qu'on en parle plus ». (Il n'y a pas que Luchini qui sache
lire!)
N° 10 L'ÉCUME DES
JOURS de Boris Vian (1947)
Le number ten est un conte de fées innocent
et triste : L'Écume des jours,
merveilleuse histoire d'amour que Boris Vian (1920-1959) a écrite en 2 mois, à
27 ans, et qu'il résumait ainsi : « Un homme aime une femme, elle tombe malade,
elle meurt. » (Love Story d'Erich Segal est donc un plagiat éhonté !)
L'imagination...
Ah, l'imagination. On la croyait morte, celle-là. Finie, dépassée, assassinée
par le réalisme et le naturalisme, l'autobiographie et le roman engagé. La
poésie tendre et fantastique des amours de Colin et Chloé apporte un cinglant
démenti aux ennemis de l'invention. Non, l'imaginaire n'est pas contradictoire
avec l'émotion, ou l'humour, ou la satire. On peut parfaitement être absurde et
révolté, comme l'a montré Albert Camus. Et Vian, bien que centralien et
existentialiste, était un ami de Queneau, il connaissait donc le surréalisme et
la pataphysique, qui imprègnent sa romance délicate et loufoque. Vian s'y moque
de Jean-Sol Partre (l'auteur de La Lettre et le Néon}, condamne le travail,
l'argent et le mariage, montre que tout est impossible (le bonheur, la santé,
l'amour, la vie) et en même temps comment des nénuphars poussent dans les
femmes et des appartements rétrécissent. Il y a un point commun entre J.D.
Salinger, l'auteur de L'Attrape-Cœurs, et Boris Vian, l'auteur de
L'Arrache-Cœur (en plus de ces titres qui se ressemblent beaucoup) : tous deux
refusent le monde adulte, même si le premier vit toujours alors que le second
est mort à 39 ans il y a 40 ans. Impossible de résumer L'Ecume des jours :
c'est un roman trop fragile, trop cristallin, trop magique pour être expliqué
par un type assis dans un fauteuil devant son iMac.
Il me faudrait un pianocktail, ce mythique
instrument qui mélange les alcools en même temps que les notes (sans doute inspiré
à Vian par l'orgue à parfums de Des Esseintes). Après avoir bu des litres de
liqueurs mélangées, je pourrais aller à la patinoire avec des jolies filles qui
riraient et alors je serais dans l'ambiance, je me mettrais à jouer de la
trompette pour fêter la 10e place de Boris Vian, et une petite souris grise à
moustaches noires viendrait commenter en direct la victoire de Jean-Sol Partre
sur le vrai Jean-Paul Sartre, qui n'est que 13" chez nous : car ce
classement est la preuve que les fêtards inconséquents sont plus grands que les
philosophes intelligents Nous célébrons ici un zazou aussi désespéré que
dégingandé, un immense artiste qui ne fut pas pris au sérieux de son vivant et
qui triomphe car ses livres ne servent qu'à s'amuser, à fuir la mort, avant de
se faire exploser le cœur trop jeune dans une salle de cinéma où l'on projette
votre œuvre sur trop grand écran. L'histoire ne dit pas si l'autopsie y trouva
un nénuphar géant...
Il existe sûrement des gens qui n'aiment
pas L'Écume des jours, qui trouvent ce livre nunuche ou puéril, et je voudrais
ici même dire, solennellement, à ces gens que je les plains, parce qu'ils n'ont
pas compris ce qui est le plus important en littérature. Vous voulez savoir ce
que c'est ? Le charme.
Si j'avais eu plus de place, je vous aurais
parlé d'Holden Caulfield, qui mériterait amplement de figurer lui aussi dans ce
Top 50 avec ses conneries à la David Copperfield, mais j'ai pas envie de
raconter ça et tout
N°46 - GATSBY LE
MAGNIFIQUE de Francis Scott Fitzgerald (1925)
Quand Scott Fitzgerald (1896-1940) publie
The Great Gatsby, il n'a que 29 ans et pourtant il est déjà au sommet de son
art. Il a tout compris à l'Amérique, et la preuve c'est que celle-ci est à ses
pieds. Il a épousé la plus jolie fille de New York, donc du monde. Il décide de
raconter la vie d'un pauvre du Middle West qui s'est enrichi en vendant de
l'alcool durant la Prohibition et donne des fêtes sur Long Island : Jay Gatsby.
Gatsby
veut séduire son amour d'enfance, Daisy, laquelle a épousé un milliardaire de
naissance (Tom Buchanan). Il va sans dire que le fric pourri de Gatsby ne
suffira pas à la ramener, c'est d'ailleurs la seule chose qui a vraiment
vieilli dans le livre : aujourd'hui, la belle Daisy n'hésiterait pas trois
secondes avant de partir avec le beau parvenu. Quoi de plus sexy qu'un
bootlegger (l'ancêtre du dealer d'American Beauty) ?
Great
Gatsby est une satire de la haute société américaine (certains reprochent même
au livre un antisémitisme larvé) mais surtout un roman d'amour mélancolique, rédigé
dans ce ton doux-amer, inimitable, que Fitzgerald a mis au point en écrivant 160
nouvelles pour payer des robes à Zelda : « Dans ses bleus jardins des hommes et
des jeunes femmes passèrent et repassèrent comme des phalènes parmi les chuchotements,
le Champagne et les étoiles. » Il relève aussi partiellement de l'autobiographie
: Gatsby, c'est un peu Fitzgerald lui-même. Né à Saint Paul (Minnesota), il n'a
jamais réussi à faire vraiment partie des clubs de milliardaires, il a été
snobé par l'équipe de football de Princeton et ne s'en est jamais remis; certes
on ne l'a pas assassiné comme son héros mais il est mort à 44 ans, alcoolique
et inconnu, 8 ans avant que sa femme ne disparaisse à son tour, brûlée vive
dans
l'incendie
de son asile de fous, en 1948. Les grands romans sont tous prémonitoires : Colette
disait que « tout ce qu'on écrit finit par devenir vrai ». L'Amérique cupide et
égoïste décrite par Fitzgerald n'a fait qu'empirer depuis puisqu'elle est
devenue maîtresse de la planète Terre. Ses rêves de grandeur finissent en
gueules de bois sordides. Le monde est une « party » de plaisir qui commence
bien et finit mal, comme la vie («un processus de démolition »). Il ne faudrait
jamais se réveiller. Fitzgerald est très protestant, voire puritain : chez lui le
bonheur se paie comptant, et le péché est toujours puni. Il a décrit des riches
malheureux à New York après avoir été pauvre et heureux à Paris. Le seul moyen
de critiquer les riches c'est de vivre comme eux, donc de boire au-dessus de
ses
moyens,
avant de finir dans la dèche et l'alcoolisme.
On
comprend enfin pourquoi Scott aimait tant saccager le Ritz ivre mort ou précipiter
sa voiture dans les étangs : tacher son smoking est un geste politique, une façon
de désapprouver le monde auquel on a tant rêvé d'appartenir. Fitzgerald peut être
considéré comme le premier bobo (bourgeois bohème), mais il avait l'élégance
d'appeler
son gauchisme « Génération Perdue » : « On devrait pouvoir comprendre que les
choses sont sans espoir et cependant être décidé à les changer » (La Fêlure);«
Tous les dieux, morts; toutes les guerres, faites; tous les espoirs en l'homme,
trompés » (This Side of Paradise). Reste sa description des aristocrates
new-yorkais,
si
lumineuse qu'ils en furent aveuglés, puis éteints, comme les dinosaures.
Je
n'aime pas les gens qui n'aiment pas Fitzgerald. Ils croient qu'il faut être
mal habillé pour être un vrai rebelle. C'est faux : si j'arrose ma tête de
Champagne, puis renverse mon fauteuil sur le sol à coups de pied pathétiques,
c'est pour crier, avec Scott Guevara : « Biba la Rébolucion ! »
N°24 - LA
CANTATRICE CHAUVE d'Eugène Ionesco (1950)
En
24e position chante La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco (de son vrai nom
Eugène Ionescu, 1912-1994), une « anti-pièce » qui fut créée le 11 mai 1950 au théâtre
des Noctambules - comment voudriez-vous que cela me déplaise ? – et publiée
dans trois numéros des Cahiers du Collège de Pataphysique en 1952.
Monsieur
et Madame Smith vivent à Londres, normal puisqu'ils sont anglais. L'horloge sonne
n'importe quand et eux disent n'importe quoi, tout comme leurs invités : Monsieur
et Madame Martin. Et la Cantatrice Chauve ? Elle n'existe pas. A moins que ce
ne soit Mary, la bonne, ou le capitaine des pompiers, voire l'un des
innombrables
Bobby
Watson...
Vous
trouvez cela absurde ? C'est voulu. « Absurde » est un des maîtres mots de
l'après-guerre : c'est Camus qui a commencé à l'employer par désespoir mais
très vite, le théâtre l'a rejoint. En attendant Godot et La Cantatrice chauve
sont les deux chefs-d'œuvre du théâtre de l'absurde. Mais La Cantatrice est
nettement plus rigolote.
On
pourrait dire qu'il s'agit d'une critique de la bourgeoisie sclérosée, ou du
mode de vie moderne, ou du théâtre de boulevard, ou de la méthode Assimil, ou
de l'incommunicabilité contemporaine, mais ce serait ennuyeux. Or La Cantatrice
chauve est tout sauf ennuyeuse : nous sommes en présence d'un énorme et
magnifique foutage de gueule, dans la droite ligne d'Ubu roi d'Alfred Jarry. Et
il ne faudrait pas insulter La Cantatrice chauve en coupant sa calvitie en
quatre.
Eugène
Ionesco est d'origine roumaine, comme le comte Dracula; c'est pourquoi il suce
le sang du théâtre contemporain. Ionesco est un révolutionnaire qui fait couler
le sang des mots. La Cantatrice chauve est sa première pièce et aussi la plus
drôle, la plus originale, la plus puissamment nouvelle. Son humour loufoque le
situe
très en avance sur son temps : les Monty Python, les Nuls, les Deschiens font tous
du Ionesco sans le savoir. En outre, comme Magritte quand il peint une pipe en écrivant
« Ceci n'est pas une pipe », Ionesco peut aussi être considéré comme l'inventeur
du décalage si cher aux publicitaires des années 1990. Le truc est simple mais
fonctionne toujours 50 ans après : ne pas dire la même chose que ce qu'on montre,
ne pas montrer la même chose que ce qu'on dit. Élu à l'Académie française en
197 0, Ionesco était quelqu'un de très triste comme tous les grands humoristes
: il ne plaisantait pas face à la vanité de notre condition. Son enfance fut
solitaire, ses parents divorcèrent quand il avait 5 ans. L'homme est
provisoire, il meurt et tout ça pour quoi faire? Pas de réponse. Somme toute, cette
agitation s'avère aussi ridicule que, pour prendre un exemple au hasard,
d'offrir un peigne à une cantatrice dénuée de cheveux.
N°23 - ASTÉRIX LE
GAULOIS de Goscinny et Uderzo (1959)
Le numéro 23 n'est toujours pas moi mais
Astérix le Gaulois : c'est normal, il est dopé à la potion magique!
L'histoire
de la naissance d'Astérix m'a toujours fasciné. En 1959, René Goscinny
(1926-1977), scénariste inconnu de retour des Etats-Unis, et Albert Uderzo (né
en 1927), illustrateur obscur dans une agence parisienne (International Press),
se réunissent dans le HLM d'Uderzo, à Bobigny. Ils cherchent une idée de bande dessinée
pour le premier numéro d'une nouvelle revue nommée Pilote. Au départ ils pensaient
adapter le Roman de Renart, mais quelqu'un d'autre l'ayant déjà fait, ils hésitent.
Ils se grattent la tête, ce qui est toujours signe d'une intense réflexion chez
l'être humain. Ils partent sur une aventure préhistorique (qu'ils auraient
peut-être appelée « Jurassix Park » mais on ne le saura jamais). Et puis, tout
d'un coup, après quelques pastis, c'est l'illumination : et si l'on racontait
ce qu'était la France sous les Romains ? Uderzo commence à dessiner le Gaulois
le plus célèbre : Vercingétorix. Goscinny rebondit : déformant des mots usuels,
il crée Astérix, Obélix, Idéfix, Panoramix, Assurancetourix, Abraracourcix,
Agecanonix (quelques années plus tard il s'illustrera avec sa trouvaille la
plus sublime : Ocatarinetabellatchixtchix...). Pour les Romains, il suffira de
trouver des noms se terminant en « us » comme dans une version latine :
Processus, Hotelterminus, Belinconnus, Prospectus... Et Goscinny de rédiger le
célèbre prologue de cette nouvelle Guerre des Gaules : « Nous sommes en 50
avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par les Romains... Toute? Non!
Un village peuplé d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à
l'envahisseur... » (En réalité, la Gaule et les Gaulois sont une invention du
19ème siècle : les récentes découvertes
archéologiques montrent qu'au Ier siècle avant J-C, le territoire actuel de la
France était peuplé de dizaines de tribus celtes aux cheveux courts, sans barbe
ni moustache!)
Sa
grande trouvaille est évidemment la potion magique qui permet aux Gaulois de
vaincre les Romains à mains nues. Grâce à cet ancêtre de l'EPO, les faibles peuvent
gagner contre les forts, les Gaulois paresseux qui ne pensent qu'à bouffer des
sangliers rôtis peuvent rosser des envahisseurs supérieurement organisés. On en
vient
à se demander ce qui serait arrivé si l'on avait eu la potion magique en
1940...
Car
le talent de Goscinny et d'Uderzo consiste précisément à créer une bédé qui se
lit à plusieurs niveaux : les enfants s'attardent sur les bastons et les gags
visuels, tandis que les parents rigolent aux jeux de mots, anachronismes,
allusions à la géopolitique.
Astérix
s'envole comme une fusée à plusieurs étages. Mais ce n'est pas là le plus beau
dans cette aventure. Le 29 octobre 1959, le premier épisode du feuilleton
Astérix le Gaulois passe dans Pilote. L'accueil est plus que mitigé. Les gens
disent à Goscinny que tout le monde s'en fout des Gaulois, et à Uderzo qu'il
dessine de trop gros nez. Lorsque le premier album sort en 1961, il ne se vend
qu'à 6 000 exemplaires. Le second, La Serpe d'or, ne fait pas beaucoup mieux
:20 000 exemplaires. De bons amis leur conseillent d'arrêter : « ça ne marchera
jamais, disent-ils, c'est trop vieillot » (effectivement puisque ça a deux
mille ans). Mais les deux auteurs tiennent bon. Et aujourd'hui la saga des
Astérix représente 300 millions d'albums vendus dans 107 langues et dépasse
Faulkner, Nabokov et Autant en emporte le vent dans notre Top 50. Depuis cette
année, René Goscinny a même sa rue dans le XIIIe à Paris, tout près de la
Bibliothèque Nationale de France !
Cela
veut dire quoi? Que vous qui lisez ceci, si vous avez une idée dont vous êtes
fier et qui vous fait marrer, eh bien n'écoutez jamais les avis de vos
soi-disant amis; au contraire, soyez tenace, têtu, borné, confiant, et
travaillez. Tous les écrivains de cette liste ont dû s'acharner pour être
publiés. C'est cela, aussi, le message d'Astérix : la potion magique est en
chacun de nous ! (Par Toutatis ! Je m'exprime comme Bernard Tapix!)
N°22 - 1984 de
George Orwell (1948)
Bonjour chez vous, je vous vois, je vous
regarde, j'espionne vos moindres mouvements... Et que vois-je ? Je vois
distinctement que le numéro 22 est 1984, le dernier livre de la vie de
l'Anglais George Orwell (1903-1950).
Aujourd'hui
nous sommes en 2001. Donc 1984, c'était il y a 17 ans. Et le roman 1984 est
sorti en 1948 (pour choisir son titre, Orwell s'est contenté d'inverser les
deux derniers chiffres de l'année de publication).
Orwell
s'est-il trompé comme New York 1997, Cosmos 1999 ou 2001 l'Odyssée de l'espace
qui n'ont pas eu lieu aux dates prévues ? Ou bien vivons-nous dans le monde
qu'il décrit : un monde totalitaire dont tous les habitants sont surveillés par
un Télécran? Une société où le passé est constamment réécrit, où la langue est modifiée
pour en faire une novlangue, où les cerveaux sont lavés, où la vie sexuelle est
réglementée, où l'on opprime les citoyens sous couvert d'amour, de paix et de tolérance
? Où tout est organisé pour nous empêcher de penser?
La
réponse est : bien sûr que oui, nous y sommes. Big Brother existe : à Levallois-Perret
il y a des caméras qui filment les passants dans les rues; l'institut Médiamétrie
est en train de mettre au point une caméra infrarouge pour enregistrer les
réactions des téléspectateurs à leur domicile; les web-cams sur le net retransmettent
au monde entier la vie privée des gens; nous sommes fichés, traçables,
photographiables par les cartes de crédit, les téléphones portables, les satellites
d'espionnage et de guidage. La langue est réduite à un volapük d'un minimum de
mots (quant au français, n'en parlons pas : il disparaîtra dans les décennies à
venir). La publicité manipule nos désirs. Les révisionnistes effacent des millions
de morts. Il existe même un jeu télévisé hollandais (distribué dans le monde entier)
qui s'intitule « Big Brother », et permet de surveiller 24 heures sur 24 la vie
de dix candidats reclus dans un appartement truffé de caméras. George Orwell ne
s'est pas trompé : son roman prémonitoire a eu beau être influencé par les
totalitarismes de son époque, nazisme et stalinisme, et par Le Meilleur des
mondes d'Huxley (un British comme lui), il n'en décrivait pas moins très
scrupuleusement l'évolution du monde occidental dans les 50 années à venir. Et
Stan Barets, un des grands spécialistes de la science-fiction en France, a raison
de se demander : « A ce point-là, est-ce encore de la fiction ou déjà du pamphlet
? »
1984
d'Orwell se lit toujours avec terreur et avidité. Ce ne sont pas seulement ses
dons de voyance qui nous saisissent, mais aussi sa vision de l'avenir, qui a énormément
influencé tous les arts, en particulier le cinéma et la littérature cyberpunk. Avant
Orwell, le futur était lisse, chatoyant, fluorescent, c'était Flash Gordon, les
Martiens,
les soucoupes volantes. Après Orwell, le futur ne sera plus jamais le même : un
monde carcéral, angoissant, sombre, Brazil, Blade Runner... Orwell a créé cette
esthétique : le futur comme un immense goulag dont son héros, Winston Smith, ne
parviendra jamais à s'échapper. Heureusement pour lui, Orwell est mort en 1950,
deux ans après la publication de son livre, c'est-à-dire trop tôt pour voir à
quel point il avait raison d'être pessimiste. 1984 s'achève d'ailleurs sur
cette phrase : « IL AIMAIT BIG BROTHER.» Winston Smith vient d'être rééduqué,
il est comme nous tous intoxiqué et soumis. Le système est victorieux quand il
parvient à nous faire aimer notre prison.
Mais
dites donc, il y en a un qui ne me lit pas attentivement, là, toi, oui, toi,
avec tes doigts dans le nez, si tu crois que je ne t'ai pas vu. Baisse les
yeux, je t'ordonne de baisser les yeux : Grand Frère te regarde. Fais attention
ou je t'envoie ma Police Beigbédérienne !
N°18 - LE LOTUS
BLEU d'Hergé (1936)
Sapristi! Que dis-je : Tonnerre de Brest!
Je ne suis pas numéro 18! Tout ça parce qu'un bougre de bachi-bouzouk, un
boit-sans-soif, un olibrius bruxellois, un marin d'eau douce a décidé de
s'emparer de ma place !
«
Tintin » ! quel nom ridicule, en plus ! Un soi-disant reporter international
qu'on ne voit jamais écrire ses articles, inventé par un ancien boy-scout nommé
Georges Rémi (1907-1983), dit RG, comme dans « Renseignements Généraux » !
Drôle d'idée pour un pseudonyme, surtout quand on a des opinions politiques peu
recommandables : colonialistes et parfois même racistes dans Tintin au Congo...
sans évoquer un comportement douteux pendant la Seconde Guerre mondiale belge (collaboration
à un journal dirigé par des Allemands).
Hergé
n'en demeure pas moins l'inventeur de la BD européenne grâce à sa ligne claire,
son sens de l'intrigue avec suspense en bas de page (les planches uniques
paraissant au rythme hebdomadaire, il fallait tenir les jeunes lecteurs en haleine
d'une semaine sur l'autre) et ses personnages aussi burlesques que récurrents :
le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, la Castafiore, les détectives
Dupond et Dupont et bien sûr Tintin et Milou. Il dessine, modernise, adapte et
vulgarise (au sens noble du terme) le roman-feuilleton à la Rocambole.
D'ailleurs le
dernier
de ses 23 albums s'intitulera Tintin et les Picaros en hommage à ces aventuriers
espagnols du XVIe siècle qui ont donné leur nom au roman picaresque.
Le
Lotus bleu a été choisi pour représenter Tintin dans ce hit-parade pour deux raisons
: d'abord parce qu'il fallait bien choisir un épisode de ses aventures; ensuite
parce qu'il s'agit de la première aventure de Tintin pour laquelle Hergé s'est véritablement
documenté. Publié en 1936 en noir et blanc, Le Lotus bleu sera remanié et
colorisé en 1946. C'est la suite des Cigares du Pharaon, qui mettait déjà aux
prises Tintin avec une bande de trafiquants de drogue. Cette fois, ces
sacripants se manifestent en pleine guerre sino-japonaise. Tintin se rend même
à Shanghaï dans une fumerie d'opium qui s'appelle le Lotus bleu. C'était tout
de même trash pour l'époque : comme si aujourd'hui on sortait une bédé pour
enfants qui se passait dans un club échangiste ! Tintin sauve la vie de Tchang,
un jeune garçon qu'il voit se noyer lors d'une crue du Yang Tsé Kiang (fleuve
cher aux personnages d'Antoine Blondin dans Un Singe en hiver). Ensemble ils
affrontent le redoutable Rastapopoulos, un lointain ancêtre de Pablo Escobar. A
la fin, lorsqu'ils se séparent, Tintin verse une des seules larmes de sa
carrière, ce qui a entraîné de nombreuses gloses sur sa possible homosexualité
avec ce jeune Chinois : hypothèse aussi stupide que de le supposer zoophile
avec Milou, même si Hergé a effectivement rencontré un Chinois nommé Tchang
Tchong-jen qui lui a donné de précieux conseils pour son récit.
De
Gaulle a dit un jour : « Mon seul rival international c'est Tintin. » Il a péché
par mégalomanie car aujourd'hui un album de Tintin se vend toutes les deux secondes
et demi dans le monde. A notre connaissance les Mémoires d'espoir du Général
n'atteignent pas le millionième de cette gloire.
Si
j'avais eu plus de place, j'aurais pu m'étaler sur le whisky du capitaine Haddock,
nommé Loch Lomond, du nom d'un lac écossais où je me suis baigné ivre mort il y
a quelques années... A suivre!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire