Dans le cadre d'une réflexion sur le théâtre de Tchekhov et les théories de Stanislavski qui l'accompagnent, il a été demandé aux "théâtreux" de 1ère L de réfléchir à des fragments théoriques de Stanislavski, Oida, Vitez, Brook...
Les propos de Julien Le Caroff nous ont semblé particulièrement précis, aigüs, pertinents...
Citation
115 :
" Lorsque
l’on parle avec un ami, parfois l’on bavarde superficiellement,
mais parfois aussi l’on cherche à découvrir la vérité située
au-delà des mots. Attitude normale dans la vie courante, mais les
acteurs ont parfois tendance à l’oublier quand ils jouent. Nous
apprenons notre rôle, puis nous échangeons superficiellement des
répliques avec les autres acteurs. Les personnages devraient
pourtant plonger leur regard au fond de l’âme des autres
personnages et s’efforcer de les comprendre. Il ne s’agit plus de
la nécessité pour les acteurs d’être ouverts l’un à l’autre.
Il s’agit de la vie même des personnages. " L’acteur
flottant, Yoshi Oida.
Cette
citation d'Oïda est intéressante puisqu'elle parle de ce véritable
« syndrome » qui hante les jeunes acteurs. Cela se
caractérise par une impossibilité totale de reproduire des scènes
de la vie courante au théâtre. C'est très gênant parce qu'un
acteur talentueux peut-être bloqué à vie si cette maladie n'est
pas traitée à temps grâce à une bonne cure d'expérience et de
bons médecins spécialistes en théâtre
avec un doctorat en maladies des arts du spectacle (minimum).
Le
principal responsable est le plateau. Il isole le comédien du reste
du monde en le mettant sous le feu des projecteurs.
C'est
une situation qui sort du monde réel et qui peut pousser le comédien
à jouer mal, à stresser, à sur-jouer. Alors il se réfugie dans
un monde où les émotions n'existent plus, dans le seul jeu
abordable par le plus simple des hommes puisqu'il ne s'agit que de
répéter, encore et toujours, sans vivre son texte. C'est le jeu
mécanique qui tue le théâtre et qui est si propre aux amateurs.
Et
pourtant Diderot, dans son Paradoxe sur l'Acteur
conseille à tous d'agir ainsi, la tête froide. Il n'y alors pas
d'instincts, pas de grandes émotions sur scène, pas d'envolées
lyriques, il faut constater la beauté du texte et remercier l'auteur
plus que le comédien. Aujourd'hui, nous savons qu'il avait
essentiellement tort, et de nouveaux théoriciens comme Oïda ou son
homologue russe Stanislavski prônent
le contraire, le jeu d'instinct. Pour eux,
il faut vivre la scène, pas la reproduire.
Et je suis totalement d'accord avec ces deux metteurs en scène.
C'est
pourquoi, nous, jeunes comédiens, nous devons apprendre à
regarder l'autre et à le voir comme un ennemi, un ami, un amour
suivant les pièces. Notre but est de traverser toutes ces
limites physiques et mentales que nous nous mettons afin de prendre
au corps notre rôle. Parce que lorsque l'on joue du théâtre et
qu'on y croit, nous touchons du bout des doigts un aspect divin que
personne ne pourra jamais décrire.
Citation
124 :
" Si
vous dites à un acteur que son rôle est profondément tragique et
plein de psychologie, il va commencer immédiatement à se lancer
dans toutes sortes de contorsions à se torturer l’esprit et à
forcer ses sentiments. Mais donnez-lui un problème strictement
physique à résoudre, dans des circonstances intéressantes et
attachantes, et il l’accomplira sans s’inquiéter et sans poser
de questions inutiles. En abordant ainsi la vie affective, vous
éviterez toute violence, et le résultat viendra tout naturellement
de lui-même. Abordez le moment tragique du rôle les nerfs
détendus, sans crispation ni violence, et surtout sans hâte.
Avancez progressivement, avec logique, en accomplissant correctement
et avec conviction votre enchaînement d’actes physiques /…/. Par
conséquent, si l’on vous demande ‘‘du tragique’’ ne pensez
pas à éprouver des sentiments, pensez à ce que vous allez faire. "
La formation de l’acteur, Constantin STANISLAVSKI.
Stanislavski parle de la difficulté du comédien à
prendre en main son rôle. Il est vrai qu'il est terrifiant d'aborder
un personnage, on se met une pression phénoménale, surtout
lorsqu'on aime l'auteur. Moi, par exemple, j'adore Molière et je
peux vous dire que si l'on me donne Alceste du Misanthrope
(ma pièce favorite) et bien je vais m'arracher les cheveux à
refaire, encore et encore, des essais pour chercher la perfection que
je trouve dans ma lecture de l’œuvre.
Il est aussi vrai que si j'apprends qu'il y a d'autres
fanatiques de ce personnage autour de moi et qu'ils reconnaissent que
c'est l'un des plus beaux rôles et des plus difficiles de la
Comédie, ça va empirer. Il y a à la fois cette notion d'atteindre
un objectif et de vouloir, évidemment, être le meilleur Alceste
(pour reprendre l'exemple) que le public n'a jamais vu.
Naturellement, cette notion de but à atteindre est fausse, et ça
je l'ai appris avec un intervenant, il n'y a pas d'Arlequin, de
Matamore, de Platonov de base.
Nous avons, certes, une caractérisation du personnage,
mais ce qui nous rend humain et ce qui renouvelle le théâtre c'est
notre façon d'adapter ces sentiments aux nôtres.
Note du professeur : Et c'est précisément ce
qui rend le théâtre magique, il produit de l'humain indéfiniment à
partir des personnages fixés...
Pour en revenir à la
citation, Stanislavski a trouvé l'astuce pour apprendre à ses
comédiens de ne plus porter attention à toutes ces questions
inutiles. La solution est
l'action ; il
faut découper son personnage en plusieurs séquences de mouvement
afin de se concentrer sur ça et « le résultat viendra tout
naturellement ». C'est
d'ailleurs une partie traitée dans son livre La Formation
de l'Acteur. D'après l'auteur
c'est ce qui faciliterait la tâche de l'acteur, se repérer à ces
actions. Le comédien, qu'il soit actif ou passif dans une scène
doit toujours être pris dans l'action en se fixant des objectifs
contenus dans des séquences.
En ce moment, je
travaille sur une scène dans Platonov
de Tchekhov. Je suis Platonov et une amie joue Ossip, nous devons nous
bagarrer. Et je me rends compte que c'est
grâce à ces actions que je trouve les émotions,
lorsque je dois faire des aller-retour sur scène l'énervement
augmente, lorsque je dois la gifler la haine exulte. Ce sont tant de
petites choses qui éveillent en moi les sentiments que j'ai
énormément de mal à trouver sur ce texte.
Citation
131 :
"
On ne peut pas répéter un sentiment qu’on a éprouvé
accidentellement sur scène, pas plus qu’on ne peut faire revivre
une fleur fanée. Il vaut mieux essayer de créer quelque chose de
nouveau que de perdre ses efforts sur des choses mortes. Comment
faire ? En premier lieu, ne vous occupez pas de la fleur ;
contentez-vous d’arroser les racines, ou bien plantez de nouvelles
graines. La plupart des acteurs travaillent en sens opposé. S’ils
ont accidentellement réussi certain passage de leur rôle, ils
cherchent à le répéter en s’attaquant directement à leurs
sentiments. Mais c’est comme s’ils essayaient de faire pousser
une fleur sans le secours de la nature, et ils n’y arriveront
jamais à moins de se contenter d’une fleur artificielle. Alors que
faut-il faire ? Ne pas penser au sentiment lui-même, mais vous
appliquer à découvrir ce qui l’a provoqué et quelles sont les
conditions qui avaient favorisé son apparition. Ne partez jamais du
résultat. Il apparaîtra de lui-même en temps voulu, comme
l’aboutissement logique de ce qui a eu lieu auparavant. "
La formation de l’acteur, Constantin STANISLAVSKI.
Stanislavski nous offre une belle métaphore florale sur
les sentiments ressentis par l'acteur lors d'une scène. Il parle de
la difficulté pour l'acteur de créer une émotion et de la
retrouver à chaque représentation. D'après lui, il faut se
concentrer sur ce qui permet de créer la sensation, tout le contexte
extérieur, tous les éléments qui entourent l'acteur durant la
montée d'intensité.
Il est vrai qu'il est difficile de se remettre dans un
état spécifique à chaque fois. Je sais que lorsque je dois jongler
avec différents tons j'aborde en
premier lieu le sentiment. Et je fais une grossière erreur puisque
c'est ce qui se passe autour de nous qui stimule notre instinct.
Si je me concentre sur la honte, je vais faire du mauvais théâtre,
je vais lister chaque traits extérieurs spécifiques à cette
émotion et oublier pourquoi j'ai honte dans cette scène. Par
contre, si je me prends une gifle suite à une erreur devant un
public, elle sera de suite présente, parce que tous les facteurs
m'entraîneront à le devenir.
Je me souviens d'un
exercice pratiqué avec un intervenant dans le cadre de l'option.
Nous devions fixer du regard un partenaire durant cinq minutes
environ. Il fallait l'accompagner et bouger simultanément, tout en
conservant ces yeux collés l'un à l'autre. A la fin, nous devions
nous séparer et à force de voir ces globes oculaires disparaître
de mon champ de vision, une sensation de tristesse envahissait mon
corps. Mes yeux me piquaient, une larme a dû tomber, mon visage se
tordait, mon cœur battait plus vite. Cette expérience est encore
ancrée dans ma mémoire et je ne pense pas l'oublier parce qu'il est
inspiré de Stanislavski, j'étais entré dans La Formation
de l'Acteur avec celui là.
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