vendredi 16 janvier 2015

Stanislavski, Tchekhov et Julien... Quelques bribes d'un esprit très éclairé


Dans le cadre d'une réflexion sur le théâtre de Tchekhov et les théories de Stanislavski qui l'accompagnent, il a été demandé aux "théâtreux" de 1ère L de réfléchir à des fragments théoriques de Stanislavski, Oida, Vitez, Brook...
Les propos de Julien Le Caroff nous ont semblé particulièrement précis, aigüs, pertinents...

Citation 115 :

" Lorsque l’on parle avec un ami, parfois l’on bavarde superficiellement, mais parfois aussi l’on cherche à découvrir la vérité située au-delà des mots. Attitude normale dans la vie courante, mais les acteurs ont parfois tendance à l’oublier quand ils jouent. Nous apprenons notre rôle, puis nous échangeons superficiellement des répliques avec les autres acteurs. Les personnages devraient pourtant plonger leur regard au fond de l’âme des autres personnages et s’efforcer de les comprendre. Il ne s’agit plus de la nécessité pour les acteurs d’être ouverts l’un à l’autre. Il s’agit de la vie même des personnages. " L’acteur flottant, Yoshi Oida.

Cette citation d'Oïda est intéressante puisqu'elle parle de ce véritable « syndrome » qui hante les jeunes acteurs. Cela se caractérise par une impossibilité totale de reproduire des scènes de la vie courante au théâtre. C'est très gênant parce qu'un acteur talentueux peut-être bloqué à vie si cette maladie n'est pas traitée à temps grâce à une bonne cure d'expérience et de bons médecins spécialistes en théâtre avec un doctorat en maladies des arts du spectacle (minimum).

Le principal responsable est le plateau. Il isole le comédien du reste du monde en le mettant sous le feu des projecteurs.

C'est une situation qui sort du monde réel et qui peut pousser le comédien à jouer mal, à stresser, à sur-jouer. Alors il se réfugie dans un monde où les émotions n'existent plus, dans le seul jeu abordable par le plus simple des hommes puisqu'il ne s'agit que de répéter, encore et toujours, sans vivre son texte. C'est le jeu mécanique qui tue le théâtre et qui est si propre aux amateurs.

Et pourtant Diderot, dans son Paradoxe sur l'Acteur conseille à tous d'agir ainsi, la tête froide. Il n'y alors pas d'instincts, pas de grandes émotions sur scène, pas d'envolées lyriques, il faut constater la beauté du texte et remercier l'auteur plus que le comédien. Aujourd'hui, nous savons qu'il avait essentiellement tort, et de nouveaux théoriciens comme Oïda ou son homologue russe Stanislavski prônent le contraire, le jeu d'instinct. Pour eux, il faut vivre la scène, pas la reproduire. Et je suis totalement d'accord avec ces deux metteurs en scène.

C'est pourquoi, nous, jeunes comédiens, nous devons apprendre à regarder l'autre et à le voir comme un ennemi, un ami, un amour suivant les pièces. Notre but est de traverser toutes ces limites physiques et mentales que nous nous mettons afin de prendre au corps notre rôle. Parce que lorsque l'on joue du théâtre et qu'on y croit, nous touchons du bout des doigts un aspect divin que personne ne pourra jamais décrire.

Citation 124 :

" Si vous dites à un acteur que son rôle est profondément tragique et plein de psychologie, il va commencer immédiatement à se lancer dans toutes sortes de contorsions à se torturer l’esprit et à forcer ses sentiments. Mais donnez-lui un problème strictement physique à résoudre, dans des circonstances intéressantes et attachantes, et il l’accomplira sans s’inquiéter et sans poser de questions inutiles. En abordant ainsi la vie affective, vous éviterez toute violence, et le résultat viendra tout naturellement de lui-même.  Abordez le moment tragique du rôle les nerfs détendus, sans crispation ni violence, et surtout sans hâte. Avancez progressivement, avec logique, en accomplissant correctement et avec conviction votre enchaînement d’actes physiques /…/. Par conséquent, si l’on vous demande ‘‘du tragique’’ ne pensez pas à éprouver des sentiments, pensez à ce que vous allez faire. " La formation de l’acteur, Constantin STANISLAVSKI.

Stanislavski parle de la difficulté du comédien à prendre en main son rôle. Il est vrai qu'il est terrifiant d'aborder un personnage, on se met une pression phénoménale, surtout lorsqu'on aime l'auteur. Moi, par exemple, j'adore Molière et je peux vous dire que si l'on me donne Alceste du Misanthrope (ma pièce favorite) et bien je vais m'arracher les cheveux à refaire, encore et encore, des essais pour chercher la perfection que je trouve dans ma lecture de l’œuvre.

Il est aussi vrai que si j'apprends qu'il y a d'autres fanatiques de ce personnage autour de moi et qu'ils reconnaissent que c'est l'un des plus beaux rôles et des plus difficiles de la Comédie, ça va empirer. Il y a à la fois cette notion d'atteindre un objectif et de vouloir, évidemment, être le meilleur Alceste (pour reprendre l'exemple) que le public n'a jamais vu. Naturellement, cette notion de but à atteindre est fausse, et ça je l'ai appris avec un intervenant, il n'y a pas d'Arlequin, de Matamore, de Platonov de base.

Nous avons, certes, une caractérisation du personnage, mais ce qui nous rend humain et ce qui renouvelle le théâtre c'est notre façon d'adapter ces sentiments aux nôtres.

Note du professeur : Et c'est précisément ce qui rend le théâtre magique, il produit de l'humain indéfiniment à partir des personnages fixés...

Pour en revenir à la citation, Stanislavski a trouvé l'astuce pour apprendre à ses comédiens de ne plus porter attention à toutes ces questions inutiles. La solution est l'action ; il faut découper son personnage en plusieurs séquences de mouvement afin de se concentrer sur ça et « le résultat viendra tout naturellement ». C'est d'ailleurs une partie traitée dans son livre La Formation de l'Acteur. D'après l'auteur c'est ce qui faciliterait la tâche de l'acteur, se repérer à ces actions. Le comédien, qu'il soit actif ou passif dans une scène doit toujours être pris dans l'action en se fixant des objectifs contenus dans des séquences.

En ce moment, je travaille sur une scène dans Platonov de Tchekhov. Je suis Platonov et une amie joue Ossip, nous devons nous bagarrer. Et je me rends compte que c'est grâce à ces actions que je trouve les émotions, lorsque je dois faire des aller-retour sur scène l'énervement augmente, lorsque je dois la gifler la haine exulte. Ce sont tant de petites choses qui éveillent en moi les sentiments que j'ai énormément de mal à trouver sur ce texte.



Citation 131 :

"  On ne peut pas répéter un sentiment qu’on a éprouvé accidentellement sur scène, pas plus qu’on ne peut faire revivre une fleur fanée. Il vaut mieux essayer de créer quelque chose de nouveau que de perdre ses efforts sur des choses mortes. Comment faire ? En premier lieu, ne vous occupez pas de la fleur ; contentez-vous d’arroser les racines, ou bien plantez de nouvelles graines. La plupart des acteurs travaillent en sens opposé. S’ils ont accidentellement réussi certain passage de leur rôle, ils cherchent à le répéter en s’attaquant directement à leurs sentiments. Mais c’est comme s’ils essayaient de faire pousser une fleur sans le secours de la nature, et ils n’y arriveront jamais à moins de se contenter d’une fleur artificielle. Alors que faut-il faire ? Ne pas penser au sentiment lui-même, mais vous appliquer à découvrir ce qui l’a provoqué et quelles sont les conditions qui avaient favorisé son apparition. Ne partez jamais du résultat. Il apparaîtra de lui-même en temps voulu, comme l’aboutissement logique de ce qui a eu lieu auparavant. " La formation de l’acteur, Constantin STANISLAVSKI.

Stanislavski nous offre une belle métaphore florale sur les sentiments ressentis par l'acteur lors d'une scène. Il parle de la difficulté pour l'acteur de créer une émotion et de la retrouver à chaque représentation. D'après lui, il faut se concentrer sur ce qui permet de créer la sensation, tout le contexte extérieur, tous les éléments qui entourent l'acteur durant la montée d'intensité.

Il est vrai qu'il est difficile de se remettre dans un état spécifique à chaque fois. Je sais que lorsque je dois jongler avec différents tons j'aborde en premier lieu le sentiment. Et je fais une grossière erreur puisque c'est ce qui se passe autour de nous qui stimule notre instinct. Si je me concentre sur la honte, je vais faire du mauvais théâtre, je vais lister chaque traits extérieurs spécifiques à cette émotion et oublier pourquoi j'ai honte dans cette scène. Par contre, si je me prends une gifle suite à une erreur devant un public, elle sera de suite présente, parce que tous les facteurs m'entraîneront à le devenir.

Je me souviens d'un exercice pratiqué avec un intervenant dans le cadre de l'option. Nous devions fixer du regard un partenaire durant cinq minutes environ. Il fallait l'accompagner et bouger simultanément, tout en conservant ces yeux collés l'un à l'autre. A la fin, nous devions nous séparer et à force de voir ces globes oculaires disparaître de mon champ de vision, une sensation de tristesse envahissait mon corps. Mes yeux me piquaient, une larme a dû tomber, mon visage se tordait, mon cœur battait plus vite. Cette expérience est encore ancrée dans ma mémoire et je ne pense pas l'oublier parce qu'il est inspiré de Stanislavski, j'étais entré dans La Formation de l'Acteur avec celui là.




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